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Covid-19: Avocats locataires, pas de suspension de loyer

AVOCATS LOCATAIRES : PAS DE SUSPENSION DE LOYER AUTORISÉE ET DES CONDITIONS FINALEMENT BIEN RESTRICTIVES POUR DEMANDER L'EXONÉRATION DE PÉNALITÉS DE RETARD


Contrairement aux premières annonces faites au début du confinement, aucune suspension de loyer n’est autorisée pour les locataires, de sorte qu’il est indispensable de relire attentivement les dispositions de son titre locatif et de prendre attache avec son bailleur dès que possible pour négocier un aménagement des conditions contractuelles. Cécile Hubert fait le point sur les mesures.



L’évocation d’une suspension des loyers professionnels…

Dans son allocution aux Français, Emmanuel MACRON annonçait le 16 mars que les entreprises pourraient suspendre le paiement des « factures d’eau, de gaz ou d’électricité ainsi que les loyers ».

Cette déclaration a immédiatement suscité un vif intérêt des locataires et de nombreuses interrogations sur la définition du terme « suspension ».

Adoptée quelques jours après, la loi n° 2020-290 du 23 mars 2020 d’urgence, a autorisé par son article 11 le gouvernement à prendre par ordonnances, dans un délai de trois mois, toutes mesures, pouvant entrer en vigueur, si nécessaire, à compter du 12 mars 2020, destinées notamment à faire face aux conséquences économiques, financières et sociales de la propagation de l’épidémie de covid-19 et aux conséquences des mesures prises pour limiter cette propagation, et notamment afin de prévenir et limiter la cessation d’activité des personnes physiques et morales exerçant une activité économique et des associations ainsi que ses incidences sur l’emploi.

S’agissant des loyers et des factures de fluides, le gouvernement était en effet autorisé à prendre une ordonnance « permettant de reporter intégralement ou d’étaler le paiement des loyers, des factures d’eau, de gaz et d’électricité afférents aux locaux professionnels et commerciaux et de renoncer aux pénalités financières et aux suspensions, interruptions ou réductions de fournitures susceptibles d’être appliquées en cas de non-paiement de ces factures ». Le texte précisait que ces mesures pourraient bénéficier aux microentreprises, au sens du décret n° 2008-1354 du 18 décembre 2008, dont l’activité est affectée par la propagation de l’épidémie, à savoir les entreprises occupant moins de dix personnes et dont le chiffre d’affaires annuel ou le total de bilan n’excède pas 2 millions d’euros. La « suspension » des loyers était donc définie comme un report ou un étalement, mais en aucun cas une annulation.

… Se réduisant finalement à une absence de pénalités de retard

L’ordonnance n° 2020-316 du 25 mars 2020 relative au paiement des loyers, des factures d'eau, de gaz et d'électricité afférents aux locaux professionnels des entreprises est venue préciser et réduire comme peau de chagrin les conditions de ce régime dérogatoire, en indiquant que :

- Le nombre de personnes pouvant bénéficier de ces mesures est bien moindre que celui visé dans l’allocution du Président de la République : il ne s’agit plus des petites entreprises visées par le Président de la République, ou encore des microentreprises visées par la loi, mais uniquement des « personnes physiques et morales de droit privé exerçant une activité économique qui sont susceptibles de bénéficier du fonds de solidarité mentionné à l’article 1er de l’ordonnance n° 2020-317 du 25 mars 2020 susvisée et celles qui poursuivent leur activité dans le cadre d’une procédure de sauvegarde, de redressement judiciaire ou de liquidation judiciaire ».

Le décret n°2020-371 du 30 mars 2020 modifié par décret n°2020-394 du 2 avril 2020 (et explicité par la FAQ de la DGFIP) fixe les conditions suivantes pour pouvoir prétendre au fonds de solidarité :

· Avoir débuté une activité avant le 1er février 2020 ;

· Ne pas avoir déposé de déclaration de cessation de paiement au 1er mars 2020 ;

· Avoir un effectif inférieur ou égal à dix salariés.

· Avoir atteint un chiffre d'affaires constaté lors du dernier exercice clos inférieur à un million d'euros. (Pour les entreprises n'ayant pas encore clos d'exercice, le chiffre d'affaires mensuel moyen sur la période comprise entre la date de création de l'entreprise et le 29 février 2020 doit être inférieur à 83 333 euros) ; S’agissant des avocats, le chiffre d’affaires considéré sera celui encaissé pour ceux en comptabilité BNC, et celui facturé pour ceux assujettis à l’IS.

· Avoir subi une perte de chiffre d'affaires d'au moins 50 % durant la période comprise entre le 1er mars 2020 et le 31 mars 2020 (par rapport à mars 2019) ;

· Avoir un bénéfice imposable augmenté au titre de l'activité exercée qui n'excède pas 60 000 euros au titre du dernier exercice clos (2019), et augmenté le cas échéant des sommes versées à leurs dirigeants (charges sociales incluses) par les structures soumises à l’IS. Pour les entreprises n'ayant pas encore clos un exercice, le bénéfice imposable est établi, sous leur responsabilité, à la date du 29 février 2020, sur leur durée d'exploitation et ramené sur douze mois ;

· Ne pas être titulaire (pour une personne physique ou pour le dirigeant de la personne moral), au 1er mars 2020, d'un contrat de travail à temps complet ou d'une pension de vieillesse et ne pas bénéficier, au cours de la période comprise entre le 1er mars 2020 et le 31 mars 2020, d'indemnités journalières de sécurité sociale d'un montant supérieur à 800 euros ;

· Ne pas être, au 31 décembre 2019, en difficulté au sens de l'article 2 du règlement (UE) n° 651/2014 de la Commission du 17 juin 2014 déclarant certaines catégories d'aides compatibles avec le marché intérieur en application des articles 107 et 108 du traité.

· N’avoir aucune dette fiscale ou sociale impayée au 31 décembre 2019.


Cette aide, plafonnée à 1.500 euros par structure d’exercice, doit être sollicitée avant le 30 avril 2020, sur l’espace particulier de la DGFIP.


A ce sujet, le Conseil National des Barreaux a, afin que puissent en bénéficier les cabinets de taille intermédiaire ayant poursuivi l’exécution des contrats de collaboration, proposé d’ajouter , sans que cela ne soit à ce jour acté: « Par exception au 5° du présent article, les personnes physique ou morale, y compris les associations d’avocats prévues à l’article 7 de la loi n° 71-1130 du 31 décembre 1971, exerçant une profession libérale visée à l’article 18, I de la loi n° 2005-882 du 2 août 2005, qui s’engagent à maintenir, pendant la période de crise sanitaire, les contrats de collaboration en cours aux mêmes conditions contractuelles, bénéficient du fonds mentionné par l'ordonnance du 25 mars 2020. Ces personnes morales percevront sur demande une aide forfaitaire mensuelle égale à la moitié de la rétrocession versée à chaque collaborateur libéral exerçant au sein de la structure et dont le contrat a été maintenu dans les mêmes conditions durant la période de la crise, dans la limite de 1 500 € par collaborateur libéral ».

- Une exonération de pénalités mais plus de report de loyer : la protection consiste à ne pas « (…) encourir de pénalités financières ou intérêts de retard, de dommages-intérêts, d'astreinte, d'exécution de clause résolutoire, de clause pénale ou de toute clause prévoyant une déchéance, ou d'activation des garanties ou cautions, en raison du défaut de paiement de loyers ou de charges locatives afférents à leurs locaux professionnels et commerciaux, nonobstant toute stipulation contractuelle et les dispositions des articles L. 622-14 et L. 641-12 du code de commerce.

Les dispositions ci-dessus s'appliquent aux loyers et charges locatives dont l'échéance de paiement intervient entre le 12 mars 2020 et l'expiration d'un délai de deux mois après la date de cessation de l'état d'urgence sanitaire déclaré par l'article 4 de la loi du 23 mars 2020 précitée ».

Le recours à la force majeure, à l’exception d’inexécution ou à l’imprévision ?

Les loyers et charges restent donc dus et malgré des divergences au sein de la doctrine, il ne semble pas possible d’arguer de la force majeure ou de l’exception d’inexécution pour les avocats, ceux-ci n’ayant pas fait l’objet d’une fermeture administrative, pour tenter de faire annuler le loyer des mois concernés dans la mesure où le bailleur ne peut plus répondre à son obligation de délivrance de la chose louée (Cass.civ 3ème – 7 mars 2006, n°04-19.639)

Pour pouvoir se prévaloir de la force majeure, et suspendre le bail, l’événement invoqué doit remplir trois conditions cumulatives (article 1218 du code civil) :

- être extérieur : sauf cas particuliers, ce critère ne peut pas faire débat car les titulaires du contrat ne sont pas à l’origine de l’épidémie.

- être imprévisible : lors de la conclusion du contrat, si le contrat est antérieur au 3 mars 2020 (date des premières mesures gouvernementales liées au Covid-19) l’événement était effectivement imprévisible.

- être irrésistible : ce critère peut susciter le plus de contestation. Un événement est irrésistible quand «les effets ne peuvent être évités par des mesures appropriées » et « empêche l’exécution de son obligation par le débiteur ». Le preneur ne pourra à ce titre s’exonérer des mesures appropriées au prétexte qu’elles seraient plus onéreuses.

Compte tenu du caractère inédit de la présente pandémie, nous ne disposons pas de jurisprudence permettant d’affirmer de façon tranchée que l’irrésistibilité sera automatiquement retenue par les juges, en cas de contestation de la force majeure par le bailleur. Les juges sont toutefois réticents à reconnaître le caractère de force majeure pour ce qui concerne les choses fongibles et plus particulièrement le versement de sommes d’argent. La réponse sera certainement apportée au cas par cas, au regard de la situation du débiteur qui devra prouver que l’exécution de son obligation de payer ses loyers était rendue impossible du fait de la survenance de l’épidémie (CA PARIS 17 mars 2016 n°15/04263). Le preneur devra alors prouver la disparition drastique de son chiffre d’affaires et conserver soigneusement les éléments de preuve attestant qu’il a pris toutes les mesures appropriées pour réduire le préjudice, notamment pour ce qui concerne les avocats dont l’activité est exclusivement contentieuse, en téléchargeant l’attestation délivrée par les Ordres relative à la fermeture des tribunaux.

Il faudra dans tous les cas se référer précisément aux dispositions du contrat relatives à la force majeure, certains contrats prévoyant expressément que le débiteur prend à sa charge les risques liés à la force majeure, ou prévoyant encore une délimitation dans les cas de force majeure admis.

Si la force majeure est retenue, l’empêchement de régler les loyers étant a priori temporaire, alors le règlement des loyers sera suspendu pendant tout le temps où le débiteur est empêché.

Si la force majeure était contestée par le bailleur, dans les faits toutefois, compte tenu de l’absence d’audiences, il ne lui sera pas possible d’engager d’actions en paiement ou de saisies conservatoires.

Une fois le juge saisi, celui-ci pourra en outre au regard de la situation du preneur et en considération des besoins du bailleur, reporter ou échelonner, dans la limite de deux années, le paiement des sommes dues (article 1343-5 du Code civil).

L’exception d’inexécution ne pourra être invoquée puisque les cabinets d’avocats n’ont pas fait l’objet de fermetures administratives et les avocats locataires ne pourront sur ce motif s’affranchir du paiement du loyer durant la période de confinement, le bailleur remplissant techniquement son obligation de mise à disposition du local.

Enfin, le locataire pourrait également se prévaloir des dispositions de l’article 1195 du Code civil relatives à l’imprévision et d’un changement de circonstances imprévisible qui rend l’exécution du bail excessivement onéreuse pour lui, pour autant que le bail ait été conclu après le 1er octobre 2016 et que les parties n’aient pas écarté l’application de ces dispositions dans le bail. Si les parties ne parvenaient pas à s’accorder sur la renégociation du bail, elles pourraient procéder à sa résolution et à défaut, le juge saisi adapterait le contrat.

Les parties seront toutefois tenues de poursuivre l’exécution du bail jusqu’à ce que le juge, qui ne pourra être saisi avant plusieurs mois, tranche le litige.

Il n’en reste pas moins que tout en respectant les droits de chacun, bailleurs et preneurs, il eût été possible d’ordonner, non une décharge de l’obligation de payer les loyers qui porterait une atteinte excessive à la force obligatoire du contrat, mais un report des loyers et des charges locatives pendant cette période. Le 20 mars dernier, les principales fédérations de bailleurs et la Caisse des dépôts et consignations ont d’ailleurs appelé leurs membres bailleurs à suspendre les loyers pour l’échéance d’avril et pour les périodes postérieures d’arrêt d’activité imposées par l’arrêté.

On est donc bien loin des premières annonces du Président de la République…

Eligibles ou pas au fonds de solidarité, à défaut de dispositions légales claires l’obligeant, les avocats locataires sont invités à relire soigneusement les dispositions de leur bail, et d’engager dès que possible des discussions avec leurs bailleurs aux fins de négocier une suspension de leur loyer, voire une franchise.

Notre équipe reste mobilisée pour vous accompagner et vous conseiller au mieux pour faire face à cette période exceptionnelle.

Le présent article est à jour au 13 avril 2020 des mesures prises par le Gouvernement et sera actualisé des évolutions susceptibles d’intervenir dans les jours à venir.

N’hésitez pas à nous contacter pour bénéficier de conseils adaptés à votre situation et pour vous assister dans le cadre des négociations avec votre bailleur en tant que de besoin.

L’ensemble du Cabinet LIBRATO vous apporte son entier soutien.

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